Le tas de bois. -Histoire-
- Endoca

- 8 oct. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 avr.
La sonnette a retentit au moment précis où je commençais à m'enfoncer dans le fauteuil.
J'ai pris le temps de m'assoir, une poignée de secondes.
Je savais.
Je venais d'ajuster le col de mon polo Lacoste-like, échangé une autre poignée de secondes avant, contre un t-shirt "Légalize-it".
Je n'ai pas réfléchi, je l'ai fait machinalement, presque mécaniquement.
Les condamnations ne sont jamais anodines, lorsqu'on est repris de justice, c'est pour la vie, bien au delà des 5 ans de mise à l'épreuve.
Je suis un délinquant, assumé et condamnable, encore.
Depuis, chaque fois qu'elle retentit je pense à eux, chaque fois je les attend et je sais que cette fois, ils sont là.
L'embrouille avec le voisin ne me disait rien qu'y vaille et c'est instinctivement que je renonçait à mon moment cannabico-crépusculaire du fond du jardin pour un séquence changement d'apparence.
Même dans ce court instant, cette pincée de temps, je réalisais et savourais à quel point ces échanges m'étaient devenus vitaux.
S'il faut peut être considérer le Cannabis comme un filtre à la réalité, c'est dans son intégralité qu'il faut l'accepter.
Je ne suis pas sous son effet, encore moins en ivresse cannabique.
J'ai juste l'entière conscience de l'instant et Ils sont là!
Au second coup de sonnette, je me précipite dans l'embrasure de la baie vitrée et je lance un tonitruant:
"-2 secondes!! J'arrive!"
C'est pour les impressionner, comme ils ont mis leur gyro, son pour lumières..
La lueur bleue blafarde donne un côté solennelle à ce moment, nous sommes entre chiens et loups, la chienne est derrière moi.
Le vague stratagème lumineux mais guère brillant m'indique que la visite est plus ou moins informelle.
J'entend marmonner en m'approchant, sans pouvoir distinguer ce qui se dit.
Je capte des bribes..."On entre ou pas?"
Je vois les képis et je tire le portail.
-"Bonjour Monsieur, on vous dérange?"
...
-"Gendarmerie nationale."
C'est celui qui était en retrait qui a identifié la patrouille: C'est RoboTop.
Ce RoboTop là avait joué le rôle du gentil lors de ma première garde à vue, il avait donc hérité de ce sobriquet, l'aidant à le rendre sympathique auprès des enfants.
RoboCop, son équipier de malheur avait eu droit à sa promotion quelques temps après son forfait et longtemps avant notre passage au tribunal.
Le malheur des uns...
Le temps ne s'écoule pas de la même façons pour ces chasseurs d'inutile ou pour une procédure d'une journée, c'est plusieurs vies longtemps lézardées.
Je réajuste ma casquette.
"-Je vous ai reconnus."
Je regarde avec insistance leur tenues en accordant le minimum d'intérêt à celui qui me connait, je le sens en pleine investigation. Je tente:
"-Si c'est pour les branches, elles sont là.."
J'entrouvre un peu plus le portail et leur désigne le tas de bois, objet supposé du litige.
J'ai le sentiment d'être au théâtre, sur les planches.
Je me sens faux, mais je suis seul à la maison et ma lucidité extrême est comme une arme blanche parfaitement affûtée.
Assurance de rigueur, regard droit, réponses calibrée: Je n'ai jamais été aussi prêt.
"-C'est quoi cette histoire, on vient de chez votre voisin et il nous dit que vous lui avez volé du bois.
-Le bois était sur son terrain et il nous a demandé de l'en débarrasser.
Demandez à Michel!"
Michel, c'est un autre voisin, un ami
et conseillé municipal par dessus le marché.
Je sais qu'ils se connaissent, tous le monde se connait ici.
Mon interlocuteur et son binôme se regardent maintenant et semble s'interroger du regard.
J'en déduis que c'est le moment où il évalue la situation à la manière décrite par l'avocate:
"-Ils s'ennuient dans les gendarmeries de province, alors quand le téléphone sonne, c'est d'abord de l'action."
Autrement dit, on agit et on réfléchira après...ou plus tard.
J'étais sur le point de baisser la garde, pas peu fier de les emmener à des années lumières de mon jardin secret lorsque RoboTop s'avança:
"-Et le cannabis vous en êtes où?"
Le coup sec et précis ne porta pas, je répondit instantanément:
"-2 mois pour ma femme et 3 pour moi, on en est là."
Le sursis, c'est ostentatoire
La charge a été violente, les pouces enfoncés dans le ceinturon sont le signe de la détermination chez le militaire.
Le menton haut, comme équipé de narines ou plutôt de naseaux, je le sentais à l'affût, depuis le début.
Les délits doivent avoir des signatures olfactives, et quand ça sent bon, ça sent le Cannabis.
"-Comme on est ici, on va jeter un oeil..."
Le temps s'est littéralement figé et l'instant précédent ma réponse dura une poussière de seconde, le temps dont j'avais besoin pour rétorquer:
"-La dernière fois que j'ai accepté de vous laisser entrer, j'ai fini en garde à vue, sans voir les instructions du procureur.
Vous avez constaté un délit?
Vous avez une commission rogatoire??
Le bois est là, mais je vous interdit de rentrer sans motif officiel."
C'était une promesse faites aux enfants, j'ai commis une erreur la dernière fois et on doit apprendre de ses erreurs.
Cette fois le binôme n'est plus avec nous, l'un 2 a sorti un carnet à spirale et semble expliquer à son collègue quelque chose qui n'a rien à voir avec la situation.
Le fait d'agiter son stylo encore encapuchonné avec force et conviction ne change
rien à l'affaire. On les a perdus.
RoboTop a sortie son smartphone à la pomme et regarde maintenant ses chaussures.
Il relève la tête vers moi sans me regarder franchement et me lance en brandissant son intelligence artificielle:
"-Je passe un coup de fil et je l'ai votre papier!"
Toujours affûté, je ne lui dit pas ce qui me passe par la tête, il n'aurait certainement pas compris.
Proposer à un gendarme de se servir de son postérieur pour imprimer un document vaut probablement outrage, je choisi de ne pas prendre le risque.
Je laisse le temps faire son oeuvre et au bout de quelques secondes que je suis le seul à ne pas trouver interminable, RoboTop abdique:
"-Il faudra rendre le bois à votre voisin, s'il porte plainte, on reviendra!"
Je me paye le luxe d'approuver et je les salue poliment.
Puis, tout en gardant une main sur le portail, je les regarde partir.
Je cache ma joie.
Trop content de ne jamais avoir parlé de mes plantations à qui que ce soit, c'est la seule attitude à avoir, au vue des circonstances légales.
Je me félicite intérieurement de leur avoir tenu tête.
Ils sont rentrés de force la dernière fois et en me montrant coopératif, je leur ai mâché le travail . Plus jamais.
Précisions importantes: hormis le changement d'habit et quelques détails, tout est le fruit de mon imagination;) Musique!




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